Quand la fille de Purolator vient porter du courrier spécial, je m’arrange toujours pour être occupée, au téléphone ou à la photocopieuse. Je la vois arriver au fond du long couloir, et je fais de mon mieux pour quitter mon poste. Seulement aujourd’hui, je ne l’ai pas vue venir, j’étais en train de nettoyer mes lunettes sur le tissu de ma jupe, et je suis bien trop myope pour voir aussi loin sans correction. Elle est arrivée devant mon bureau, comme ça, en tendant son enveloppe et en me disant :

« On peut dire qu’on a un bel automne en tout cas! » Un bel automne? On est presque fin mai, qu’est-ce qu’elle me raconte. Je ne sais pas trop quoi lui répondre, tant la regarder me gêne. Sans que j’arrive à expliquer pourquoi, la fille de Purolator qui s’occupe du quartier de mon bureau me met terriblement mal à l’aise depuis le premier jour où je suis rentrée en poste. Est-ce que c’est son uniforme? Ses ongles impeccables que j’aperçois quand elle tend le courrier? Les clins d’oeil qu’elle me fait en partant? Comme je suis encore en probation à mon travail, et que j’ai peur de dire n’importe quoi, de me mettre à monologuer, ou alors de lui sauter franchement dessus, je la fuis.

« Ça se voit que tu passes ta journée enfermée toi. 8 degrés pour un 17 mai, moi je parle d’un bel automne. » Je ris bêtement. Ne pas parler, ne pas la regarder. Je signe avec le stylet qu’elle me donne sur sa machine électronique.

« Maeva, c’est ça? » J’approuve d’un signe de tête en faisant semblant de regarder mes courriels.

« En tout cas, si ça te tente de faire de quoi au printemps Maeva, je suis pas mal douée pour les pique-nique. »

Elle s’en va et je vois son sac en bandoulière frotter ses fesses moulées en uniforme. Paraît que la chaleur s’installe à partir de demain.