Beaucoup de petites filles rêvent de devenir chanteuse, actrice ou princesse.
Moi, je veux devenir bibliothécaire.
Ma mère m’avait initiée aux plaisirs de la lecture très tôt. Un jour, elle m’avait amené à la bibliothèque municipale pour l’heure du conte.
Après être entrée dans une petite pièce, elle m’avait fait signe de m’asseoir au milieu, sur un tapis rond. Elle avait déposée un bisou sur ma joue en disant qu’elle revenait me chercher dans une heure puis elle était partie. Je regardais autour de moi, il y avait de plus en plus d’enfants et de moins en moins de parents. Quand le dernier avait refermé la porte, une grande femme était venue s’asseoir sur une chaise devant nous.
Elle nous avait regardé en silence, puis elle m’avait pointé du doigt. Toi. Viens ici. Je ne comprenais pas ce que j’avais fait de mal. Je gardais toujours silence à la bibliothèque. Je me suis avancée, elle a allumée une allumette vraiment très longue et me l’a tendu. Je l’ai prise, j’ai regardé la flamme frémir au bout de mon bras, et en faisant super attention j’avais allumé l’immense chandelle à côté d’elle. Les lumières s’étaient éteintes comme par magie et j’avais basculé dans une forêt nordique, pleine de trolls, d’arbres géants et de glaciers.
L’heure avait passée, la chandelle s’était éteinte, les lumières s’étaient rallumées et ma mère était venue me chercher.
Je gagnais jamais à aucun concours, j’étais toujours la dernière choisit dans les sports et pour les tirages, souvent, je perdais mon billet juste avant.
Mais là, j’avais été l’élue. J’avais allumée la flamme.
Celle qui s’était mise à brûler en moi, n’était pas prête de s’éteindre du tout.
J’ai commencé à lire des livres. Chaque jour. Pendant des heures. Je lisais le matin en mangeant mes céréales, dans l’autobus, à la récréation, le midi, le soir en rentrant chez moi, avant les devoirs, après aussi et pendant le bain. Je gardais mes mains au sec en tenant le livre que je lisais vraiment fort pour ne pas l’échapper dans l’eau.
Je louais toujours le maximum de documents à la bibliothèque et y retournait dès que je les finissais. Ma mère disait que je dévorais les livres. Je ne les mangeais pas mais en tout cas je les trouvais la plupart du temps, vraiment bons.
Ma mère était vraiment fière car j’avais appris à lire avant les autres enfants de mon âge. Elle croyait que j’allais savoir plus de choses, avec tout ce que je lisais. C’était vrai, mais ça faisait aussi que j’avais moins d’amis que les autres enfants de mon âge. Ma mère m’a fortement conseillé de faire plus d’activités. Je ne comprenais pas pourquoi apprendre des informations sur la faune et la flore du Canada c’était pas une activité. Ma mère a finalement décidé d’insister. Elle m’a inscrite dans une équipe de basketball. J’avais 14 ans, elle payait l’inscription et moi je devais me faire des amies et apprendre à lancer un ballon dans un panier tant qu’à y être.
Pour lui prouver que je pouvais me faire des amis si je voulais, c’est juste que la plupart du temps j’avais autre chose à faire, j’ai analysé les filles dans l’équipe pour voir laquelle je voulais comme meilleure amie.
Il y avait Stacey, avec sa queue de cheval blonde jusque dans le milieu du dos et ses jambes vraiment plus longues que son torse. Ma mère la trouverait sûrement vraiment jolie, ça se voyait qu’elle allait réussir dans la vie. Mais je la trouvais trop «classique».
Amanda avait du potentiel avec ses yeux verts, son sourire permanent sur le visage et ses cheveux orange hirsute. Elle avait des taches de rousseurs partout, sur les oreilles, les bras, les jambes et sûrement… ailleurs. Je vérifierais dans les vestiaires. Mais je me rappelai soudain que ce ne pouvait être elle… Je l’avais entendu dire à Julianna qu’elle A-DO-RAIT les sandwichs au jambon de son père. J’étais devenue végétarienne à 12 ans, ça avait été assez difficile de convaincre ma mère, j’allais clairement pas lui présenter une carnivore, des plans pour qu’elle l’invite à souper chez nous en lui servant une grosse pièce de viande, et insiste pour que j’en mange, pour faire bonne impression.
Mes options étaient maintenant restreintes. Y avait-il une végétarienne dans le groupe ? Je commençai l’investigation.
Le midi, je mangeais mon sandwich au végépâté en me baladant dans l’école à la recherche des filles de basketball pour voir ce qu’elles avaient dans leurs lunchs.
La première que j’ai trouvée c’est Anabelle. C’était la plus grande de toute l’équipe. Elle avait presque deux têtes de plus que moi, qu’on considérait comme grande pour mon âge. À 15 ans, elle arrivait presque à faire des dunks.
Assises près d’une grande fenêtre avec deux amies, elle mangeait ce qui ressemblait à un bol de pâtes. Je n’arrivais pas à voir s’il y avait de la viande dans la sauce… Je passai à côté d’elle en accrochant son coude. La bouchée qu’elle s’apprêtait à mettre dans sa bouche, atterrie sur ma jupe. Elle s’empressa de se confondre en excuse, même si j’avais fait exprès. Je lui dit qu’il n’y avait pas de souci, que je me rendais justement à la salle de bain et que je connaissais un truc infaillible pour enlever n’importe quelle tache. Enfin seule, je tirai le bout de ma jupe vers mes narines. Il n’y avait pas de doute, de la viande hachée composait sa sauce. Ce ne serait pas Anabelle.
Je m’empressai de frotter la tache avec intensité dans le lavabo. Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour faire plaisir à sa mère. La jupe dégoulinante entre les jambes je me retrouvai face à Rona, qui venait de sortir d’une toilette. C’était la plus bâtie de l’équipe, son père l’appelait Frigo, elle avait 5 frères et jouait au hockey, au handball, au rugby et au basket, c’était le seule sport où elle n’avait pas le droit aux contacts, mais elle en faisait quand même. Elle me regarda la jupe et se mit à rire. Je lui dit que ce n’était pas ce qu’elle pensait. Mais elle continua à rigoler. Vexée, je me dirigeai vers la sortie, mais avant de franchir la porte, je revins vers elle et lui demandai ce qu’elle avait mangé pour dîner. Surprise, elle dit : «Une quiche au lardons, pourquoi ?» Je lui dit «Parce que tu pue de la bouche !» Et je sortie de la pièce en courant pour ne pas qu’elle me rattrape. Ouff, elle n’était pas végétarienne.
En tournant le coin, je me pris les pieds dans un obstacle au sol et m’affalai de tout mon long, sans comprendre ce qu’il venait de se passer. Deux bras me soulevèrent du sol et époussetèrent ma robe. Je reconnu la longue chevelure foncée de Sherine, la magnifique libanaise qui jouait comme monteuse de ballon dans l’équipe. C’était la plus expérimentée et la meilleure. En voyant la tache sombre et humide sur ma jupe, elle s’exclama : «Oh my god, tu es blessé !» Encore sonnée je fixai ses grands yeux noisettes, affolés. Elle avait de si longs cils. Et sa peau donnait l’impression qu’elle faisait la sieste au soleil chaque jour. «Quoi ?» lui répondis-je. «Tu es blessée, tu saignes !» me rétorqua-t-elle, en essayant de voir si j’avais une blessure sous ma jupe, sans trop la relever. Comprenant qu’elle s’adressait à moi je regardai ma robe et lui répondis que ce n’était qu’une tache de nourriture. Un sourire illumina son visage, révélant des dents blanches et droites. «J’ai cru que tu étais tombée sur ma fourchette.» dit-elle en pointant les restes de son repas, sur le sol, à côté de son sac ouvert. Le plat était vide. «Je suis désolée d’avoir laissée traîner mes jambes. Je m’étirais, tu as des courbatures de l’entraînement toi ?» C’était la première fois qu’elle me parlait vraiment. En dehors du gymnase. «Non…non… pas trop.» que je répondis, timide. «Tu es faite forte !» Qu’elle me lança, avant de ramasser son sac. La cloche allait sonner la reprise des cours. L’enquête était finit pour aujourd’hui. Je m’apprêtais à ouvrir mon casier quand une main se posa sur mon épaule. Sherine, tout sourire, me dit : «Demain je t’amène un lunch, pour me faire pardonner le croche-pattes» Et elle repartit sans attendre ma réponse. Faites qu’il n’y ait pas…beaucoup de viande, suppliai-je dans ma tête.
Le lendemain, à l’heure du dîner, je retrouvai Sherine à l’endroit où elle mangeait toujours. Je m’étais amené un petit sandwich, au cas où le repas qu’elle m’offrait contenait de la viande, je n’avais pas pu lui dire que j’étais végétarienne, déjà que son offre était adorable, je ne voulais pas faire ma difficile. Pourtant, avec ma famille, je le disais sans problème et même avec fierté. Mais devant Sherine… je sais pas ce qu’il m’avait pris… Je lui proposai un petit gâteau au chocolat végétalien. «Tiens, j’ai apporté le dessert» dis-je. Elle me tendit un plat qu’elle avait même pris la peine de faire chauffer. J’ouvris le couvercle, anxieuse. Pas de viande. Se pouvait-il que Sherine soit la bonne ? Elle dit : «C’est une recette de ma mère, d’habitude il y a du bœuf mais j’en ai pas mis pour toi, Constance m’a dit que tu étais végétarienne. Une chance, parce que toi tu avais oublié de me le dire!»
Je la remerciai et constatai avec tristesse qu’elle avait mis du bœuf dans sa portion. J’y avais presque cru…
En mangeant, je me demandai comment Constance savait que je ne mangeais pas de viande. Peut-être que ma mère l’avait dit à la sienne, elles allaient au même cours de yoga et se croisaient lorsqu’elles venaient nous chercher aux entraînements. C’était la seule explication possible. Mais pourquoi sa mère le lui avait-elle dit ensuite ? Peut-être que Constance aussi était végétarienne.
Je devais trouver une manière de le savoir. Mais mon enquête sur l’heure du dîner n’aboutissait à rien. Ça faisait des jours que j’essayais de la trouver sans succès, et je savais qu’elle ne rentrait pas chez elle pour dîner car j’avais entendu sa mère dire à la mienne qu’elles habitaient assez loin de l’école.
Lorsque je vis que Constance n’était pas à l’entraînement de basket, je demandai à Sherine si elle savait s’il lui était arrivé quelque chose…Elle me dit qu’elle n’avait pas les détails mais que Constance lui avait demandé si c’était possible de lui amener les devoirs, qu’elle ferait de chez elle pour ne pas être trop pénalisé par son absence.
À la fin de la semaine, je sonnai à la maison familiale où vivait Constance. J’avais les travaux qu’elle devait faire et en plus, une sélection de mes livres préférés. Sa mère répondit et fût enchantée de voir ce que j’amenais à sa fille. Elle me fit signe de monter l’escalier et me dit de tourner à droite. Elle était en train de cuisiner et ne pouvait s’éloigner du four trop longtemps. Je lui demandai ce qu’elle faisait. «Un dessert » fût sa réponse… Constance était dans sa chambre, alitée. Elle avait la peau pâle et une tonne de mouchoir sur sa table de chevet. Elle dormait. Je ne savais pas quoi faire, je ne voulais pas la déranger, mais en même temps je voulais vraiment lui parler. «Constance ?» murmurai-je, en me rapprochant de son lit. Elle ouvrit les yeux lentement et me regarda sans comprendre. «Bas de laide ?» dit-elle. Je ne comprenais pas. «Tu veux des bas de laine ? Dis-je. «Tu as froid ?» Je m’agitai pour en trouver quelque part, mais je n’osais pas fouiller dans ses affaires. Elle se releva pour s’asseoir dans son lit et jeta les mouchoirs dans la poubelle au pied de son lit en disant : «Don, Don, Bas de laide !», en me pointant. Bas. De. Laide. «Pas de laide ?» tentai-je piteusement. Je lui tournai le dos, gênée, pour déposer ma pile de cahiers et de livre dans un coin de sa chambre en ajoutant rapidement: «Je ne voulais pas te déranger, je voulais juste t’apporter tes devoirs et des livres que j’aime, pour te changer les idées et te faire sortir d’ici par les pensées.» Je m’apprêtais à quitter sa chambre quand je reçu un petit projectile dans le dos. Je me retournai, Constance tenait un petit tableau noir où il était écrit MADELAINE Merci. Elle saisit une craie et ajouta. Tu es jolie et gentille. Excuse-moi pour le nez bouché. Timide, je lui dis que ce n’était rien et j’ajoutai que je lui avais aussi amené un plat végétalien. Ça voulait dire qu’il ne contenait aucun produit animal. Elle rit et me dit qu’elle savait ce que voulait dire végétalien. Qu’elle était elle-même végétarienne depuis toujours et qu’elle était même en train de faire la transition pour devenir végétalienne. J’étais complètement ravie.
Quelques semaines plus tard, Constance, qui s’était bien rétablie depuis, vint manger chez moi pour la première fois. Elle se présenta ainsi à ma mère : «Bonjour madame, je suis Constance, végétalienne et fière de l’être, comme votre fille. J’ai amené le dessert.» Ma mère, surprise et amusée à la fois, répondit honnêtement qu’il y a quelques années cela lui aurait peut-être posé problème mais qu’elle avait bien changée depuis. Le repas fût délicieux, et le dessert encore plus.
Constance, ma meilleure, je l’avais finalement trouvée.