Quand j’ai connu Mélinda, il est apparu évident dès les premières semaines qu’elle ferait une excellente compagne de vie, partenaire pour le quotidien, mais que je finirai par me lasser d’elle, sexuellement et intellectuellement. J’avais vingt-huit ans et déjà, le souci de ne pas finir ma vie toute seule me préoccupait beaucoup. C’est pour cette raison que j’ai finalement assez facilement accepté de me mettre en couple avec elle. Trois ans plus tard, nous vivions ensemble depuis plusieurs mois, dans un appartement qu’elle entretenait parfaitement bien, à manger l’ensemble de plats qu’elle se faisait un plaisir à cuisiner, et à porter du linge qui sentait toujours bon la lessive grâce au temps qu’elle passait à faire les lavages.
Quand j’ai rencontré Esther, je n’ai pas eu un coup de foudre non plus. Mais le rapport était complètement différent. Nous avons toutes les deux, je crois, compris que nous ne serons jamais en couple ensemble. D’abord, parce que nous nous tapions sur les nerfs mutuellement après quelques heures, ensuite, parce que jamais je n’aurai quitté Mélinda pour une fille dont l’appartement sentait régulièrement la litière. Pourtant, nous prenions un certain plaisir à nous voir, particulièrement, à faire l’amour ensemble, le matin, avant que je n’aille au travail.
Cela faisait donc un an que Mélinda me pensait à mon cours de yoga, de 7 à 8 heures, chaque matin de la semaine. Elle croyait tellement à ce mensonge, qu’un jour, elle eu la sympathie de me dire qu’elle me trouvais plus musclée, et que je semblais plus flexible que quand nous nous étions connues.
Chaque matin, je quittais doucement le lit conjugal, vêtue de ma tenue de sport et du linge propre dans mon sac à dos. Je parcourais les deux rues qui me séparaient de l’appartement d’Esther. Elle laissait toujours la porte ouverte pour moi. J’allumais sa cafetière, je fumais une cigarette sur le balcon en attendant que le café coule, et j’allais lui porter une tasse bien chaude au lit. Elle se réveillait, et je ne lui laissais pas le temps de boire son café que déjà, je lui sautais dessus pour quarante-cinq minutes, montre en mains, de flexions et extensions sensuelles ou vulgaires sur son lit d’étudiante.
Tout se passait très bien comme ça. J’avais trouvé ma routine idéale, ma vitesse de croisière, et tout le monde semblait épanoui comme ça. Jusqu’à hier où, en me servant sa délicieuse lasagne végétarienne, Mélinda m’annonça tout naturellement:
– Tu sais, Brigitte, la comptable, elle a dit qu’elle cherchait un cours de yoga. Comme elle vit dans le quartier, je lui ai parlé de ton cours. Elle va venir demain matin, tu pourrais l’aider pour son premier cours. Est-ce que je te la poivre?
Surprise, j’acceptais avec plaisir de partager mon présumé savoir-faire. Au fond de moi, je m’estimais simplement chanceuse qu’elle m’ait prévenue.
Ce matin, pour la première fois depuis un an, j’étais vraiment là où je disais être. Ce matin, pour la première fois, j’ai rencontré Brigitte, un doux mélange du rationalisme de Mélinda et de la flexibilité d’Esther. En chien inversé, à travers mes jambes, j’ai vu ses vertèbres danser à travers son débardeur en acrylique, et cela a suffit à me faire flancher. Pour Mélinda, l’excuse est toute trouvée, mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir inventer à Esther?