Être intelligente, c’est pour les filles laides. C’est vrai quoi, avec une gueule comme la mienne, on a autre chose à foutre que de lire des bouquins.
C’est lui qui le dit. Tout le temps. ‘Mais là, t’en as pas marre un peu ? Avec une gueule comme la tienne, on a autre chose à foutre que lire des bouquins’.
Pour être intelligente, faut pas sortir. Rester sur son grand canapé fleuri avec sa tasse de thé en lisant des revues littéraires pour savoir quels livres lire et comment en parler.
Moi je sors. Tous les jours, je suis dehors. Même le dimanche, été comme hiver.
‘La grasse mat, c’est pour les fainéantes, tu vas te bouger, laver ta face, et sortir dehors. Une belle gueule comme ça, faut la montrer’. Ça aussi, c’est lui qui le dit.
Pour être vraiment intelligente, au top du top, faut pas d’amis non plus. Pas de distractions. Moi, je suis toujours par monts et par vaux, avec les uns et les autres.
‘Laisse tomber tes romans, c’est toi le roman tu comprends ?’ Il dit ça les jours où j’y arrive plus. Il parle de personnage principale et de rebondissements comme si j’étais à l’école secondaire. Il dit que je suis les deux à la fois.
Je lis comme ça, parfois, pour passer le temps. Pour voir à quoi les filles laides et intelligentes perdent leur temps. Et puis, y a des jours comme ça, où j’arrive plus à lire. Dans ma tête je veux dire. J’arrive plus à lire dans ma tête et il faut que ça sorte. Ça sort comme ça, un peu sans que je comprenne. Ça sort comme ça cette voix de moi, que je reconnais même pas.
‘Allez, allez, arrête un peu tes conneries. T’as vu ta bouche ? Tu crois vraiment que ta bouche est aussi belle pour dire autant de foutaises ? C’est pour celles qui savent pas quoi faire de leur bouche ça. Ta bouche à toi, c’est pas pour faire semblant. ‘
Alors je ferme le livre, et je sors dans la rue. J’attends.
J’arrête de faire semblant d’être intelligente, et une voiture s’arrête.
Avec une gueule comme la mienne, on a autre chose à foutre qu’à faire semblant.