Albertine

Je te regarde de loin, à travers la foule, avec tes longs cheveux faussement roux, et je te trouve belle. Je voudrais venir jusqu’à toi, dans ton dos, poser une main sur ton épaule pour que tu te retournes. Tu serais étonnée, surprise, mais tu esquisserais un sourire. Oui, tu sourierais, parce que, je le sais, je te plais.
Tu ne me l’as pas dit directement, mais il y a des signes qui ne trompent pas. Tu ne serais pas aussi jalouse si je ne te plaisais pas, c’est évident.
Je te rendrais ton sourire. Je trouverais une phrase à te dire, quelque chose de pas trop cliché, pas trop prétentieux non plus. Quelque chose qui te ferait rire. Quelque chose qui te séduirait immédiatement. J’ai entendu que tu t’émerveillais l’été devant les feux d’artifices. Que tu avais même l’habitude d’aller à des compétitions d’artificiers. Que tu rêvais de tirer des feux toute seule, juste pour toi et Mona. Alors, je dirais ‘ Tu aimes les feux d’artichauts? ‘ Je ferais exprès de me tromper. Pour te mettre un peu mal à l’aise, et puis, pour briser la glace. Pour que, à mon évident malaise, tu comprennes que tu me plais. Tu dirais ‘ J’aime les feux d’artifices, et je n’ai mangé qu’une seule fois des artichauts. Est-ce qu’on peut dire que j’aime les feux d’artichauts?’ Nous aurions alors une conversation délirante. Je t’offrirais une bière et tu dirais ‘ Merci, j’ai tellement chaud, ça va me rafraichir.’ Parce que ça se passerait en été. Oui, un soir de canicule.
Je regarde par la fenêtre la neige tomber. Evidemment, ça ne se passerait pas un soir comme aujourd’hui, pas en hiver. Ce serait en plein été. Disons, au début du mois d’août. Nous sortirions sur la terrasse prendre la température de l’air humide. Tu me parlerais de toi, de tout ce que je sais déjà sans le savoir. Tu dirais ‘ Au fait, je m’appelle Albertine’ , en me tendant la main. Et moi, déjà séduite par tout le reste, je trouverais ton prénom splendide. Je te le dirais, et tu rierais, en pensant que je me moque de toi. Pourtant, je serais sincère.
Des pétards de feux d’artifices se feraient entendre au loin. Tu t’enthousiasmerais. Tu me prendrais la main pour descendre avec moi les escaliers de secours et gagner rapidement la grande avenue. Tu lèverais la tête vers le ciel, cette nuit noire sans étoile, polluée par la ville, à la recherche des feux colorés. Sans succès. Alors, tu pencherais ton visage vers moi, déçue, et pour te consoler, je t’embrasserais. Si je ne te connaissais pas, je serais tombée amoureuse de toi.
Je m’approche du bar pour commander une bière. Je t’ai perdue de vue. Je bois quelques gorgées avant de sortir dans la ruelle fumer une cigarette. En ouvrant la porte, je tombe sur toi. Tu es seule, j’hésite à revenir plus tard. Tu le vois. Tu dis ‘ C’est bon, tu peux venir. De toutes manières, je vais bientôt rentrer.’ J’hésite. Je n’ai pas peur, mais je ne vois pas l’intérêt de passer un mauvais moment. Je me dis que je devrais faire un effort, comme si je n’en avais pas déjà assez fait. Nous ne parlons pas. Je n’ose pas relever la tête. Je vois simplement le bout de tes cheveux, éclairés par l’enseigne du bar. Qui n’aurait pas eu envie de les toucher?
Tu écrases ta cigarette contre ta chaussure, et t’apprêtes à rentrer. Tu poses ta main sur la poignée de la porte et te retourne finalement vers moi.
‘Au fait…’ , tu dis pour m’interpeller. Je relève la tête. Tu me regardes dans les yeux. Puis, avec une moue faussement désolée, tu poursuis ‘ On a ouvert ton cadeau. C’est sympa mais tu sais, depuis qu’elle t’a quittée, Mona ne boit plus de café. C’est très mauvais pour la peau, tu devrais penser à arrêter toi aussi. On va le donner à ma cousine, just so you know.’ Tu ne me laisses pas le temps de répondre. Il fait froid. Je confonds la buée et la fumée qui sortent de ma bouche.
Tu ouvres la porte et rentre dans le bar. J’entends au loin des cris d’excitation ‘ Albertine! Où t’étais passée?’ La porte se referme.
Albertine, quel prénom cave.

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